Le Hussard de Arturo Perez-Reverte



"La lame du sabre le fascinait..."

Ainsi commence le premier roman ou nouvelle du célèbre écrivain espagnol Arturo Perez-Reverte.

Nous sommes en Andalousie en 1808, l'armée française a subit une grande défaite à Bailen.


Notre sabre de sous-officier de Hussard Modele 1777/1786 © SabresEmpire 2021


Napoléon à l'annonce de cette défaite veut faire fusiller les généraux responsables... Joseph Bonaparte n'est pas encore sur le trône et la résistance des Espagnols à l'armée française s'organise en guérilla sanglante et efficace après les massacres des 2 et 3 mai à Madrid.

Frederic Gluntz, jeune officier de 19 ans affecté au 4 eme Hussard durant la campagne d'Espagne est tout droit sorti de l'école de cavalerie. Les premières lignes du roman...il admire son sabre à la chasseur le soir au bivouac avant de livrer sa première bataille en compagnie de son ami Michel de Bourmont, de un an son aîné.

Deux jeunes officiers, la tête plein d'idéaux, rêvent de gloire au service de l'honneur et des valeurs issues de la révolution...et de l'Empire.

Dans ce livre se mêlent des réflexions sur la guerre, le bien fondé de la campagne d'Espagne, l'attachement à l'empereur.

mais le sang et la mort auront vite raison des idéaux des deux officiers!

C'est un livre glaçant sur la guerre, à lire absolument.


Sabre d'Officier à la chasseur


Extrait:

" Quatorze jours s'étaient écoulés depuis leur départ, et d'autres affaires plus importantes accaparaient désormais l'attention du régiment. Frédéric Glüntz posa le sabre et regarda son ami. Cela faisait un moment qu'une interrogation lui brûlait les lèvres.

- Michel... Qu'est-ce qu'on ressent?
- Pardon?
Frédéric eut un sourire timide. Il semblait s'excuser de poser une question aussi intime.
- J'aimerais savoir ce qu'on ressent quand on assène un coup à un homme... A un ennemi, je veux dire. Quand on se bat pour tuer, quand on sabre.
Le rictus de loup crispa les lèvres de Michel de Bourmont.
- On ne ressent rien... répondit-il avec le plus grand naturel. C'est un peu comme si le monde cessait d'exister autour de toi... L'esprit et le coeur travaillent à toute vitesse, unissant leurs efforts pour porter le coup qu'il faut à l'endroit qu'il faut... C'est ton instinct qui guide tes coups.
- Et l'adversaire?
Bourmont haussa les épaules d'un air méprisant.
- L'adversaire est seulement un autre sabre qui s'agite en l'air en cherchant ta tête, et tu dois l'éviter en étant plus habile, plus rapide et plus précis que lui.
- Tu étais à Madrid pour les combats de mai...
- Oui. Mais ce n'étaient pas des adversaires. - Il y avait maintenant du dégoût dans la voix de Bourmont. - C'était une populace informe que nous avons ramenée à la raison en la sabrant et dont nous avons ensuite fusillé les meneurs.
- Tu t'es aussi battu en duel avec Fucken.
Bourmont eut un geste évasif.
- Un duel est un duel, dit-il comme s'il s'agissait d'une évidence qui ne pouvait pas s'expliquer d'une autre manière. Un duel est une affaire entre deux hommes de coeur, il a ses règles, et sa conclusion doit être honorable pour les intéressés.
- Mais l'autre soir, à Cordoue...
- L'autre soir, à Cordoue, le lieutenant Fucken n'était pas un ennemi.
Frédéric rit, incrédule.
- Ah non? Qu'était-il, alors? Vous avez échangé une douzaine de bons coups de sabre, et il a reçu une belle entaille.
- C'était normal. C'était pour ça que nous étions allés dans le jardin, mon cher. Pour nous battre.
- Et Fucken n'était pas un ennemi?
Bourmont hocha négativement la tête en tirant longuement sur sa pipe.
- Non, dit-il au bout d'un moment. C'était un adversaire. Un ennemi, c'est différent.
- Par exemple?
- Par exemple, l'Espagnol. Lui, c'est l'ennemi.
Frédéric prit une expression perplexe.
- C'est étrange, Michel. Tu as dit «l'Espagnol» ... Ça signifie ce pays entier. Est-ce que je me trompe? 

Hussard du 4 eme en vedette



Le visage de Michel de Bourmont s'était assombri. Il resta quelques instants silencieux.

- Tu parlais des événements de Madrid, dit-il enfin, d'un air grave. Cette tourbe fanatique, vociférant dans les rues, avait quelque chose de sinistre qui donnait la chair de poule, je t'assure. Il faut y avoir été pour comprendre ce que je veux dire... Tu te souviens de Juniac étripé, pendu à un arbre? On ne t'a pas parlé des puits empoisonnés, de nos camarades assassinés dans leur sommeil, des embuscades des bandes rebelles qui ne connaissent pas la pitié? ... Ecoute-moi bien: ici, même les chiens, les oiseaux, le soleil et les pierres sont nos ennemis. 

Frédéric contempla la flamme de lampe en tentant d'imaginer le visage de l'ennemi sur ces gens noirs et sales qui les regardaient silencieusement passer le long de leurs maisons blanchies à la chaux sur lesquelles se réverbérait le terrible soleil andalou. C'étaient pour la plupart des femmes, des vieillards et des enfants. Les hommes valides avaient fui dans les montagnes, parmi les immenses oliveraies qui escaladaient les versants des collines. Le commandant Berret, chef de l'escadron, les avait bien définis, devant le cadavre de Juniac:
«Ils sont comme des bêtes. Et nous les chasserons comme ce qu'ils sont, des vermines embusquées, sans faire de quartier. Nous pendrons un Espagnol à chaque arbre de cette terre maudite. Je le jure.» 

Frédéric n'avait pas encore connu de rencontres avec des troupes rebelles espagnoles, pas même avec une de ces bandes armées qu'on appelait des «guérillas». Mais l'occasion ne tarderait pas à se présenter. En ce moment, des unités de l'armée soulevée et des partis de paysans se concentraient pour s'opposer aux huit mille soldats français qui, sous le commandement du général Darsand, avaient pour mission de nettoyer la région de ses éléments hostiles en assurant les communications entre Jaén et Cordoue. 


Hussard du 4eme Compagnie d'Elite


Cela n'avait rien de la guerre que le sous-lieutenant Glüntz avait imaginée; et pourtant, c'était bien une guerre. Les modalités en étaient peut-être sordides à l'extrême, mais on n'avait pas le choix. Les scènes de rebelles pendus par les patrouilles d'avant-garde, témoins muets, aveugles et immobiles, la langue pendante et les yeux exorbités, les corps nus, noirs, assiégés par d'épais nuages de mouches, étaient devenues fréquentes au passage des troupes de l'Empereur. Le colonel Letac lui-même avait eu son meilleur cheval tué sous lui en entrant dans un village minuscule nommé Cecina; un seul coup de mousqueton et une jument magnifique roulant à terre, qu'il avait ensuite fallu sacrifier. On n'avait pas pu trouver l'agresseur, aussi Letac, fou de rage de l'incident - «C'est intolérable, messieurs, une monture excellente, hein..., répugnante couardise et, hum, tout le reste» -, avait-il ordonné des représailles appropriées: 

«Allons, pendez-moi un de ces misérables, vous savez, ces gens qui ne savent jamais rien et n'ont jamais rien vu, sacredieu!, une leçon exemplaire: le curé, naturellement, la peste de ce pays, messieurs, ça en fera un de moins pour prêcher la rébellion en chaire...» 

Mamelouks de la Garde impériale chargeant le 2 mai 1808 durant les sanglants combats 
de l'insurrection espagnole par Goya

On avait amené le curé, un individu d'âge moyen, la cinquantaine passée, petit et gras, la tonsure élargie par la calvitie, mal rasé dans une soutane trop courte et couverte de taches que, sans trop savoir pourquoi, le luthérien Frédéric avait supposées de vin de messe. On n'avait pas perdu de temps en interrogatoire ni en paroles inutiles; un ordre de Letac équivalait à une sentence immédiate. On avait passé une corde de chanvre aux barreaux de fer du balcon de la municipalité. Le curé les regardait, recroquevillé et jaune entre deux hussards qui le dominaient d'une tête, le front ruisselant de sueur et les lèvres serrées, les yeux fiévreux fixés sur la corde qui lui était destinée. Le village semblait désert; pas une âme dans la rue, mais, derrière les volets, on devinait la présence épouvantée des habitants. 

Quand on lui avait noué la corde autour du cou, juste quelques instants avant que deux puissants hussards ne tirent sur l'autre bout, le curé avait murmuré entre ses dents un «suppôt de Satan!» clairement audible bien que ses lèvres eussent à peine remué. Puis il avait craché en direction de Letac qui montait un nouveau cheval et s'était laissé pendre sans plus de commentaires. Au moment où les derniers soldats quittaient le village - Frédéric commandait ce jour-là le peloton de l'arrière-garde -, des vieilles vêtues de noir avaient traversé lentement la place pour s'agenouiller et prier aux pieds du curé. 

Quatre jours plus tard, à un détour du chemin, une patrouille était tombée sur le cadavre d'un courrier. Il s'agissait d'un sous-lieutenant de hussards du 2e escadron un grand jeune homme mélancolique que Frédéric connaissait pour avoir fait de conserve avec lui le trajet de Burgos à Aranjuez, où tous deux devaient rejoindre le régiment. Juniac, tel était le nom de l'infortuné, était entièrement nu, attaché par les pieds à un arbre, la tête pendant à quelques pouces du sol. On lui avait ouvert le ventre, et les intestins, grouillants de mouches, s'étaient répandus, atrocement déchiquetés. La localité la plus proche s'appelait Pozocabrera, elle était déserte; ses habitants avaient emporté jusqu'au dernier grain de blé. Letac avait donné l'ordre de la raser jusqu'aux fondations, et le 4e hussards avait poursuivi sa route. ...".


Sabre de bataille d'Officier de Chasseur à Cheval de la Garde Impériale



Officier de Hussard fumant la pipe

Notre sabre de sous-officier de Hussard Modele 1777/1786 © SabresEmpire 2021